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11 août 2009

ESTANCELIN GENERAL DE L'ARMEE AUXILIAIRE

ESTANCELIN

GENERAL DE L'ARMEE

AUXILIAIRE

1870

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LA FUITE DE LA DUCHESSE de MONTPENSIER

L'INCIDENT D'ABBEVILLE.

Le départ de la duchesse de Montpensier a été plus accidenté, il me semble. J'ai entendu raconter que, comme celle des tantes de Louis XVI, sa voiture a été arrêtée à Abbeville, et que, sans la présence d'esprit d'un homme bien connu dans la politique, M. ESTANCELIN, elle eût pu être la victime des conséquences du mouvement politique révolutionnaire qui venait d'éclater à Paris.

Je voudrais bien connaître la vérité pour compléter le petit travail historique que, grâce à votre concours si utile, je puis écrire avec la certitude de dire vrai.

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Madame la Duchesse de Montpensier à Abbeville.

(25 février 1848)

Je ne sais rien, à ce sujet, que ce que vous pouvez savoir vous-mêmes; mais le plus simple serait de vous adresser à M. ESTANCELIN en personne... s'il n'est pas encore mort...,car les acteurs ou les spectateurs des évènements de cette date néfaste du 24 février commencent à être rares.

Il habite la Normandie, ne fait pas partie du club; si vous voulez son adresse, ayez recours au FIGARO; j'y ai lu de lui des articles qui ne manquaient pas d'intérêt, et qui m'ont d'autant plus frappé qu'ils me rappelaient les circonstances dans lesquelles j'avais fait sa connaissance:

C'était au Mans, dans la nuit qui suivit l'arrivée du général CHANZY; j'avais, à cette époque, quoique fort ébréché, repris du service, et je fis cette retraite, si belle mais si pénible, qui nous conduisit jusqu"au Mans.

J'avais à parler au général et l'on me répondit qu'il était en conférence avec le général ESTANCELIN, qui commandait dans les départements de la Normandie.

Le général CHANZY me reçut néanmoins (je le connaissais de longue date); il m'invita à prendre une tasse de café avec lui; j'en avais bien besoin, car il faisait un froid de chien.

Je suis resté quelques instants et j'ai causé avec le général ESTANCELIN, celui qu'on a appelé à la chambre: le jeune ESTANCELIN,et qui était terrible par ses interpellations.

C'est un grand gaillard qui a prés de six pieds, à l'air hardi.Il a montré, pendant la guerre, un courage et un talent d'organisation remarquables. C'est lui, vous le savez, qui a fait Robert le Fort.

Il a une bonne figure qui indique un joyeux et gai compagnon, ou je serai bien trompé.

Il habite en Normandie, je ne sais plus où... Mais adressez-vous au FIGARO, vous saurez où il demeure et vous lui écrirez; c'est, je le répète, ce qu'il y a de plus simple.

Vous avez raison, c'est une bonne idée.

Quelques mois après, de retour à Paris, m'occupant à compléter, par la lecture des documents officiels, le récit du colonel de X..., je me souvins de sa recommandation, et, passant au FIGARO, j'appris que le château habité par M. ESTANCELIN était situé dans une commune rurale des environs d'Eu: BAROMESNIL.

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Chateau du Général ESTANCELIN.

(collection: Ducastelle Philippe)

La pensée de visiter le château d'Eu, que je ne connaissais pas, et le désir de causer avec un homme dont le nom et le passé politique et militaire sont si connus, me firent prendre la résolution de faire une course en Normandie.

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Château d'Eu le petit salon.

(collection: Ducastelle Philippe)

J'écrivis un mot à M. ESTANCELIN pour lui demander un rendez-vous, qui me fut accordé avec le plus gracieux empressement.

Malheureusement, je ne pus pas quitter Paris au jour convenu; j'écrivis pour m'excuser et remettre au lendemain. Mais j'avais compté sans les délais du service postal rural, et ma lettre n'arriva qu'après ma visite; de sorte que, lorsque je me présentai à BAROMESNIL, le domestique qui me reçut me répondit: "Monsieur est à la chasse."

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Le général ESTANCELIN la chasse du bois du Tôt.

Il faut vous dire que j'étais arrivé à Eu par une pluie battante, qui continuait.

C'est une chasse au marais? dis-je en souriant.

Non Monsieur, - me répondit sérieusement le domestique,(Jules BEAURAIN) - Monsieur chasse en forêt (il n'avait pas compris),

"Monsieur chasse par tous les temps"

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(collection: Ducastelle Philippe)

Le château d'Eu le 20.08.2009.

Eh bien - me dis-je à part moi - je suis bien avancé. J'étais venu pour visiter le château d'Eu; on ne le visite plus depuis le départ du comte de Paris, et cette demeure royale fermée, avec l'herbe poussant devant ses grilles, a l'air de porter le deuil des absents.

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(collection: Ducastelle Philippe)

Le château du Comte de PARIS.

M. ESTANCELIN est absent aussi... Joli voyage!...

Pour venir d'Eu à BAROMESNIL, dix kilomètres, j'avais pris un véhicule sur la place d'Eu. Il parait que les jours de pluie sont rares dans ce pays-là, car ce véhicule a des rideaux, sans la moindre lucarne, et, quand ils sont baissés, on ne voit ni ciel ni terre, comme dans les coches du temps du bon roi Henri, alors que les mantelets étaient baissés.

Et quand Monsieur ESTANCELIN rentre-t-il?

A la nuit.

Le domestique, sur ma bonne mine, je suppose, me dit:

Si Monsieur veut entrer dans la bibliothèque et attendre, il y a des journeaux et des livres.

Il faut prendre son mal en patience et me voilà condamné à une aprés-midi perdue.

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(collection: Ducastelle Philippe)

Portrait du roi LOUIS-PHILIPPE Ier, exilé au chateau de CLAREMONT en Angleterre en 1850.

Dans le vestibule où lieu de colloque, je vis des bois de cerfs où étaient accrochées des trompes de chasse; dans d'autres panneaux, divers tableaux et portraits, entre autres un du roi Louis-Philippe (assez médiocre ,du reste); de l'autre côté, un tableau représentant une course de taureaux en Espagne, et je lus au-dessus une inscription sur un écusson doré, qui en indiquait la provenance.

A MONSIEUR ESTANCELIN

LA COMTESSE DE PARIS

Souvenir de son père

Le Duc de Montpensier.

En traversant le salon qui fait suite, je vis sur un bureau de boule un groupe représentant le combat d'un serpent et d'un dragon; les armes de la ville de Tours au-dessous. Le tout posé, sur un socle d'ébène, d'où ressortait une plaque d'argent où je lus ces mots:

A MONSIEUR ESTANCELIN

Hommage et Souvenir des Royalistes de Touraine

19 Juillet 1885.

On me fit entrer dans une bibliothèque, dont les rayons peuvent contenir 12 ou 15.000 volumes, s'étandant du parquet au plafond. Des tables chargées de journeaux, de dossiers et de livres: Talleyrand, Marbot, Hyde de Neuville, ect.. ect..., toutes les nouveautés.

Une grande cheminée de bois sculté, avec une superbe pendule de vieux boule, et, sur une table de travail, un grand encrier de bronze représentant le Penseur de Michel-Ange, avec cette inscription sur le socle:

A. ESTANCELIN

L'éloquent Défenseur des Proscrits.

2 Juillet 1870.

Plus loin, sur un bureau, un grand portrait de Madame la comtesse de Paris, dans un magnifique cadre orné de fleurs de lys d'or, avec ces vers dont j'ai pris copie:

A son aspect charmant, et de reine et de femme,

A l'aimable regard, au sourire enchanteur,

On pressent les trésors que renferme son âme,

Toujours compatissante à l'humaine douleur.

 

Son Peuple le sait bien: la couronne de France

Est faite pour son front doux et fier à la fois;

Dieu, qui donne aux Elus le charme et la puissance,

A comblé de ses dons la Fille de nos Rois !

 

D'un règne glorieux, voyons-y le présage.

Son esprit sûr et droit, son jugement si sage,

Recherchant l'ami vrai, fuyant le courtisan,

Feront vite oublier ce triste et vieil adage

Q'un poète adressait aux puissants d'un autre âge:

" Le flatteur qui nous perd est mieux venu souvent

" Que l'ami qui nous sauve en nous désapprouvant !"

Mot profond, mais cruel, et que son coeur dément !

Il sont jolis ces vers, et comme ils sont vrais !

Le flatteur qui nous perd est mieux venu souvent

Que l'ami qui nous sauve en nous désapprouvant !

Ils devraient être peints dans le cabinet de travail de tous les souverains.

Les journeaux ne manquaient pas et les heures passèrent, et déjà il faisait nuit quand le maître du logis arriva.

C'était bien celui que m'avait dépeint le colonel de X...

Prés de six pieds et encore un air de jeunesse, qui tenait peut-être à la clarté adoucie des lampes.

Pardon de vous avoir fait attendre, mais c'est en rentrant que je viens de trouver votre lettre, et il m'a fallu changer pour être présentable; je suis maintenant tout à votre disposition.

Je venais pour avoir de vous des détails sur la fuite de la duchesse de Montpensier, que vous avez sauvée au moment de la Révolution de Février.

Je n'ai pas sauvé la duchesse de Montpensier, car elle n'a jamais, que je sache, couru un vrai danger; j'ai pu, peut-être, lui éviter quelques ennuis de voyage... et c'est tout !

J'avais commencé la vie d'un homme de fort bonne heure: à 18 ans, je fus nommé chef de bataillon de la Garde nationale; à 22 ans, j'étais marié et attaché d'ambassade; à 26 ans, j'étais représentant du peuple.

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(collection: Ducastelle Philippe)

S.A.R. Madame la Duchesse de Montpensier.

(1848)

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Registre d'état civil de la ville d'Eu

acte n° 120 de l'année 1821.

L 14/9/1821: Mr Eugène Augustin Le Fournier d'Yauville est décédé le jour d'hier, propriétaire, 75 ans, né à Versailles le 26/8/1746, demeurant à Eu, place du Touquet, fils de Jacques Le Fournier d'Yauville, en sont vivant 1er veneur du roi et de dame Marie Madeleine Dourlens de Sérival, sur la déclaration du Sieur Laurent Dominique du Roy, propriétaire domicilié en cette ville grande rue, 62 ans et par le Sieur François Augustin Gourdin, aussi propriétaire en cette ville, rue Haute Chaussée, 55 ans.

(Source: Madame Françoise Lallemand)

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(collection: Ducastelle Philippe)

J'eus un fils que j'ai eu la douleur de perdre. Le duc et la duchesse de montpensier voulurent bien être le parrain et la marraine. C'était un peu tradition de famille, car le cher oncle qui me déshérita était le filleul du duc de Penthièvre et de la malheureuse princesse de Lamballe, dont mon grand-oncle, le chevalier d'Yauville, était écuyer. Il fut couvert de son sang aux journées d'Octobre.

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(collection: Ducastelle Philippe)

Ce fut un nouveau lien entre le duc de Montpensier et moi, et la jeune Princesse me traita comme le meilleur ami de son mari.

Cette superbe coupe en cristal de roche, que vous voyez sur ma cheminée, me fut donnée, alors, par les Princes, en souvenir de cette cérémonie de famille.

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Général ESTANCELIN

Tenez, j'ai là un carton rempli de tous les journaux qui ont parlé, le lendemain, de cette séance du 2 juillet, et vous allez voir la vérité de ce que je vous dis.

Et M. ESTANCELIN prit un des casiers de sa bibliothèque, d'où s'échappa un foule de journaux, les uns encore vivants, les autres ayant disparu sans laisser de traces de leur passage:

LE FIGARO, LE GAULOIS, LA GAZETTE DE FRANCE, L'UNION, LE PARLEMENT, L'HISTOIRE, LA CLOCHE, LA LIBERTE, LE CONSTITUTIONNEL, L'OPINION NATIONALE, LE RAPPEL, LA PRESSE, L'UNIVERS, LE FRANCAIS, PARIS-JOURNAL, LE TEMPS, LE PUBLIC, LA PATRIE, L'AVENIR NATIONAL, LE SIECLE, LE SOIR, LA FRANCE, LE MONDE, LE JOURNAL DE PARIS, LE MONITEUR et le CENTRE-GAUCHE.

C'était un inventaire politique assez curieux que cette revue rétrospective, où les morts étaient mêlés aux vivants. Nous les parcourûmes, et je fus frappé de leur intérêt.

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(collection: Ducastelle Philippe)

A l'exception de M. Grévy, toute l'opposition d'alors appuyait la demande des Princes d'Orléans. Ils devenaient la tête de colonne, bien autrement dangereuse pour l'Empire que les attaques des républicains; et, je dois le dire, l'unanimité des journeaux à constater l'immense succés de M. ESTANCELIN m'a prouvé la force des souvenirs laissés par la famille d'Orléans.

Vous me permettez de prendre quelques copies partielles?...

Tout ce que vous voudrez.

Et dans le tas, au hasard, je puise:

LE CENTRE GAUCHE

L'enseignement de la séance d'hier a été aussi profond que nous l'avions prévu.

Les Princes d'Orléans en seront consolés, car, pour la première fois depuis vingt-deux ans, une place s'est ouverte dans tous les esprits, pour le Gouvernement de la France, entre la République et l'Empire.

Le discours de M. ESTANCELIN , il faut le lire en entier. - Le compte-rendu officiel contiendra en même temps que les nobles paroles prononcées par l'orateur, des citations curieuses, conviant à des rapprochement que, dans sa modération, l'orateur a dédaigné de faire...

Ce que ne peut rendre la sténographie, c'est l'émotion violente de l'orateur et de la chambre; il peut se vanter d'avoir ému tous ceux qui l'ont entendu, tant l'émotion sincère est communicative.

C'est un homme de coeur... saluons !

Les hommes de coeur sont rares par le temps qui court.

Cette phrase, cent bouches l'ont murmurée dix fois pendant que M. ESTANCELIN était à la tribune.

Lorsqu'il en descendit, la plus grande partie de la Gauche se précipite à sa rencontre pour lui serrer la main, même plusieurs de ceux qui avaient résolu de s'abstenir.

LE FIGARO

Lui, publie, in extenso, aux premières pages,

la séance, et ajoute:

LISEZ ET JUGEZ.

Et M. de Villemessant écrit:

M. Thiers avait une belle occasion de racheter toutes les erreurs dont la dynastie, qui fit sa fortune, a seule porté la peine.

Son devoir était de prendre la parole au Corps législatif et de demander, avec sa puissante éloquence, la rentrée en France de ces Princes, que son incapacité politique avait précipité dans l'exil.

LE GAULOIS

Ils étaient 31 à voter en faveur de la rentrée des Princes d'Orléans, parmis lesquels M. Thiers qui n'a pas parlé !

On a su ce silence vers sept heures du soir. Avant, on ne voulait pas y croire.

M. ESTANCELIN a demandé la parole.

De tous les spectacles, le plus émouvant, à mon sens, c'est celui d'un homme énergique, viril, prêt, par tempérament, aux audacieuses entreprises et qui pourtant, sous l'impulsion d'un sentiment noble et élevé, s'attendrit et parle avec de véritables larmes dans les yeux.

Il disait sa jeunesse, où l'ami était devenu le partisan d'une cause perdue, et dans cette évocation d'un passé déjà lointain, nous sentions, nous autres des tribunes, circuler les généreuses ardeurs d'un homme dont on serait heureux de mériter l'amitié.

Il raconte une charmante anecdote sur le duc de Chartres à l'armée d'Italie; à ce passage du discours de M. ESTANCELIN, je parcours d'une lorgnette toutes les tribunes de la Chambre... Allons ! C'est bien toujours le même peuple ! Ils sont tous là, vieux, jeunes, qui se regardent, émus et craignent de le paraître... mais le sont pourtant !

Bons coeurs ! Quand ils ne gouvernent pas, ces Français.

LE PARLEMENT

Ils ont trouvé un défenseur éloquent, ces Princes d'Orléans, à l'honneur et à la probité desquels  tout le monde s'est plu à rendre hommage.

Ce n'a pas été M. Thiers;

Ce n'a pas été M. Daru;

Ca été un de leurs anciens camarades d'école, un de leurs amis, M. ESTANCELIN.

Félicitons-le de n'avoir pas trahi l'amitié; dans une circonstance aussi solennelle, son langage a été celui d'un honnête homme, chaleureux, ému, éloquent. Il m'a vivement impressionné, et ce qui émeut le coeur ne trompe jamais.

Je ne doute pas de l'impression que produira partout le discours de M. ESTANCELIN.

Il a su, aux inspiration du coeur, ajouter la force du raisonnement, et son argumentation vive, habile, péremptoire, devait demeurer sans réplique.

La réponse que le Garde des Sceaux a essayée n'a pas eu, malgré son admirable péroraison, tout l'effet qu'on attendait.

LE RAPPEL

M. ESTANCELIN a exposé la requête des Princes, simplement, avec une modération pleine de dignité et une émotion cordiale.

Cet éloquent plaidoyer pour les personnes a produit, même sur cette Chambre impérialiste, une sensation... dynastique.

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(collection: Ducastelle Philippe)

LE FRANCAIS

Qui va répondre ?

M. Thiers ou M. Jules Favre ?

Non ; ce sera M. ESTANCELIN.

Pour être éloquent, le jeune député de Dieppe n'a eu besoin que d'obéir aux élans de son coeur. Il a trouvé des accents pleins d'une émotion chaleureuse lorsqu'il a décrit les qualités des Princes et qu'il a parlé de leur exil.

Les anecdotes qu'il a racontées sur leur enfance, sur les exploits militaires du duc d'Aumale, sur le manifeste du duc de Chartres pendant la guerre d'Italie, ont profondément ému l'auditoire. Le tout a été dit avec tact et une modération tels que les plus susceptibles n'y ont trouvé rien à redire.

On se sentait heureux de voir tant de courage au service de tant de constance.

Disons-le avec M. Ollivier: le discours de M. ESTANCELIN est un de ceux qui feront le plus d'honneur à son caractère. Lui répondre n'était pas facile. M. Emile Ollivier s'est tiré de la difficulté par une argumentation qui a, sinon satisfait, du moins déterminé la majorité de la Chambre.

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(collection: Ducastelle Philippe)

LA CLOCHE

La discution va s'engager.

Le plus profond silence règne.

On voit ESTANCELIN se diriger vers la tribune.

A ce moment Kératry se lève et d'une voix forte, et que l'émotion fait vibrer de façon singulière, il adjure le Garde des Sceaux, au nom de la loyauté, au nom de l'honneur, de déclarer s'il a trouvé dans les archives gouvernementales, une seule pièce, une seule, constatant que les Princes d'Orléans ont jamais conspiré contre le pouvoir établi en France.

Rien de plus; mais ces simples mots ont produit une impression profonde à laquelle personne n'a pu se soustraire.

Ollivier n'ayant rien à répondre, déclare tout bonnement, assez lestement même, qu'il n'a rien à répondre.

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(collection: Ducastelle Philippe)

ESTANCELIN commence. Bonne attitude, très crânement campé; il est l'ami des Princes d'Orléans, il s'en glorifie et il fait l'éloge de ces Princes en termes excellents, très chaleureux, très émus, d'une émotion si communicative, que, dieu me pardonne ! à plusieurs reprises, je me  suis senti les larmes aux yeux. Quoique républicain, ennemi, par conséquent de toute race royale ou impériale, je ne m'en cache, j'ai été touché !

 

LA LIBERTE

M. ESTANCELIN monte à la tribune:

Sa voix a perdu cet accent sarcastique et narquois qu'elle affecte ordinairement.

Il est ému; il émeut même les Mameluks de la Droite.

Avec une grande éloquence et une habilité qui lui font honneur, M. ESTANCELIN a prononcé à la tribune du Corps législatif un discours qui servira mieux les présentations des quatre Princes que leur rentrée en France.

L'OPINION NATIONALE

Toutefois, ils ont été bien défendus.

C'est un beau discours, en même temps qu'un acte de courage, que le discours de M. ESTANCELIN.

Son langage a été celui d'un homme de coeur, droit et ferme, loyal et fidèle, ému jusqu'aux larmes et francs jusqu'aux aveux.

Lui, si souvent agressif et dont la parole ardente est sujette à manquer de mesure, il est resté, hier, dans une modération irréprochable, dans une élévation à la hauteur de ses sentiments et de ses convictions.

Il a obtenu le plus beau succés que puisse obtenir un orateur: l'estime sans réserve de tous et les regrets de ceux-là mêmes qui l'ont combattu.

M. le Garde des Sceaux avait sa réponse toute dictée. Ce qu'il a fait, ce qu'il a dit, était de son devoir et de sa charge;

Si lourde que fût la situation, il l'a supportée.

Dans la gauche, on s'est divisé, non sans colère. Les paroles de M. Grévy ont eu la portée d'une rupture et d'un éclat. Les irréconciliables ont affirmé la République avec des paroles impitoyables.

Le discours de M. Grévy, c'est la formule de la république de droit divin.

L'émotion a été vive, et, pendant un instant, sur les bancs de la Gauche: la discorde s'est révélée par les plus ardentes apostrophes.

LE MONITEUR UNIVERSEL

La bataille a commencé par M. ESTANCELIN; je me trompe: c'est M. de Kératry qui a tiré le premier coup de feu en interpellant directement le Ministère pour lui demander:

S'il existait dans les Archives de l'Empire une preuve quelquonque que jamais, depuis 1848, les Princes d'Orléans eussent conspiré?

Le Gouvernement n'a rien à dire, - répond M. Emile Ollivier.

Traduction: - "Nous ne voulons pas entrer les premiers en lice", ou bien - "Messieurs les Anglais tirez les premiers."

Avant de prendre part à cette discussion, je me suis demandé si je ne ferais pas mieux de garder le silence - dit d'abord M. ESTANCELIN.

Oui! Oui! - s'est écrié la droite, confirmant ainsi les dispositions qu'on avait annoncées.

(Réclamations à gauche)

Et voilà que s'éclaire la situation; on comprend que l'opposition ne se désintéresse pas dans la lutte.

Le discours de M. ESTANCELIN est un long éloge des Princes d'Orléans: tous sont de grands citoyens, chacun est un héros. L'éloge de la vertu des femmes dans la maison d'Orléans ne passe point inaperçu; en un mot, les pétitionnaires doivent une belle chandelle à leur ancien condisciple qui leur a fait, du haut de la tribune française, une réclame soignée, comme on dirait en argot parisien.

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(collection:Ducastelle Philippe)

CETTE EGLISE A ETE REEDIFIEE PAR LA PIETE ET LE CONCOURS DE SES HABITANTS EN L'AN 1896

LE Gal. ESTANCELIN MAIRE.

LE TEMPS

Il reste trop de générosité en France pour que le discours de M. ESTANCELIN, si touchant à la fois et si loyal, et les paroles émues du vieux Général Lebreton, n'y produisent pas une sansation nécessairement peu favorable aux intérêts de ceux qui n'ont pas voulu se laisser toucher, et qui ont cru devoir s'abriter derrière la raison d'Etat, contre des dangers parfaitement imaginaires.

C'est ce qu'un député trés dynastique, M. Laroche-Joubert, a eu le bon sens de comprendre et d'exprimer.

Si les Princes d'Orléans avaient voulu faire une manifestation dynastique, si leur pétition avait eu pour objet de faire naître l'occasion d'un contraste de leur attitude, si leur démarche avait été inspirée par le désir d'éveiller des sympathies nouvelles chez une nation qui répugne profondément aux doctrines impitoyables des sectaires, et qui finit toujours par se ranger du côté des opprimés, on serait en droit de dire que la séance d'hier, qui les constitue à l'état de prétendants perpétuels, a comblé tous leurs voeux et dépassé leurs espérances.

Soutenue avec une chaleur et une émotion contagieuse par M.ESTANCELIN, par les orateurs de l'opposition avec l'éloquence qu'ils apportent toujours à la défense des principes, leur prestation a encore eu cette bonne fortune de rencontrer en face d'elle les vains et cruels sophismes de l'égoîsme dynastique et de la démocratie intolérante, réunis par une terreur commune.

 

LA PRESSE

Cette séance sera mémorable. Elle était émouvante, sans être troublée.

Le débat a été digne de l'évènement. Il avait été précédé d'un rapport, parfait de convenance, rédigé par M. Dréolle.

Il a été ouvert par une adjuration éloquente d'un homme qui s'inspirait de ses plus hautes et de ses plus fidèles affections: M.ESTANCELIN.

Nous avons dit que ce n'était pas là une affaire de droit commun; il fallait encore une preuve à l'appui de cette opinion, n'est-elle pas toute entière dans cette séance?

Est-ce qu'un étranger pénétrant hier, dans cette salle comble et attentive, n'aurais pas été averti par l'émotion générale que ce n'était pas une cause ordinaire qui allait se débattre, et qu'il s'agissait de quelque intérêt supérieur à celui de simple citoyens?

Est-ce que toutes les paroles prononcées à la tribune ne réveillaient pas des souvenirs, des grandeurs, des titres, qui ne sont pas faits seulement pour remuer en nous la fibre humaine, mais qui ravivent toute notre histoire et qui font repasser devant nos yeux tout le drame de nos révolutionnaires?.

C'est noms d'Orléans et de Bourbon, qui revenaient sans cesse, touchent à la Patrie dans son passé le plus agité et le plus glorieux; et la situation particulière des Princes, fils d'un Roi que notre génération a fait connaître, ne pouvait pas rester indifférente à une Assemblée où l'on retrouve encore ceux qui les ont laissés se diriger vers l'exil, ou ceux qui les ont poussés.

Ce débat aura en Europe un grand retentissement; c'est un signe sérieux de l'apaisement des esprits, qu'il ait eu cette gravité et qu'il ait été entouré de ce calme.

On peut faire un grand éloge du vote qui l'a terminé; il a été, de la part de la chambre, l'expression libre d'une volonté réfléchie.

LA GAZETTE DE FRANCE

M. ESTANCELIN a prononcé un discours plein de mesure, de tact et de coeur; s'élevant aux plus hautes considérations de la politique, il a dit:

La Monarchie a revêtu, dans notre pays, depuis le commencement de ce siècle, des formes diverses et obéi a des principes différents.

Nous avons eu la Monarchie du droit héréditaire et la Monarchie élue, dans laquelle le suffrage du peuple sanctionne le choix d'un souverain.

M. le Comte de Chambord est la représentation la plus haute, la plus noble et la plus digne du principe d'hérédité. Il conserve précieusement intact le droit monarchique héréditaire; et, comme personne ne peut sonder les impénétrables mystères de l'avenir, qui sait s'il ne sera pas, un jour, pour le Pays, une ressource suprême?.(Mouvements divers)

Me rappelant les paroles de ce grand orateur, dont la voix dominait le tumulte de nos Assemblées, je dirai comme l'illustre Berryer, que nous regrettons tous: " Que M. le comte de Chambord ne peut rentrer en France que comme le Roi".

LE SIECLE

L'effet du discours de l'honorable député a été immense.

A diverses reprises il a fait couler les larmes sur plus d'un visage, dans les tribunes et dans la salle.

Ce n'était plus le combattant léger s'attaquant au libre-échange, le coeur avait fait de lui un grand orateur.

MESSAGER EUDOIS

DU DIMANCHE

18 DECEMBRE 1887.

UNE VISITE A M. ESTANCELIN

Comme nous l'avons dit dans notre précédent article sur le livre de M. de FLERS, nous avons voulu connaître la cause de la singulière omission qu'il avait faite en supprimant du compte rendu de la séance du 2 juillet 1870 le nom de l'orateur qui avait lu la pétition des Princes d'Orléans et prononcé, pour la défendre, un discours dont l'effet fut si considérable à l'époque.

Nous avons donc demandé à M. ESTANCELIN un interview, puisque c'est le mot consacré aujourd'hui par les reporters de la presse (pour écrire en français il va bientôt falloir absolument savoir l'anglais), et nous allons, suivant l'usage adopté, reproduire aussi complètement que possible notre conversation avec lui.

Nous avons été reçu dans sa  bibliothèque, encombrée de dossier où toutes les affaires du jour, soigneusement étudiées, nous prouvent que notre compatriote passe son temps à autre chose qu'à tirer des becasses.

Avez-vous lu le livre de M. de Flers, sur le comte de Paris?

Pas encore; je l'ai là, mais je voulais finir la Terre, de Zola, avant de le commencer.

Donc, vous n'avez pas encore lu le livre de M. de Flers.

Non.

Eh bien! il parle de la fameuse séance du 2 juillet 1870, où fut discutée la pétition des Princes d'Orléans; il publie une lettre du comte de Paris, pour remercier M. de Kératry de son intervention dans le débat, mais votre nom n'est même pas prononcé par lui!

Allons donc! Ce n'est pas possible! Kératry a dit quelques mots très nets, mais c'est moi qui ai lu la pétition des Princes et prononcé, pour la défendre, un discours qui m'a valu de nombreuses félicitations.

Je me le rappelais parfaitement, et cette inscription que je lis sous le socle de cette statue de bronze qui vous fut offerte, à ce sujet, par des habitants de Paris:

A ESTANCELIN, L'ELOQUENT DEFENSEUR DES PROSCRITS.

est une preuve matérielle de l'émotion qu'il produisit alors.

Nous examinons ensemble le passage en question. Nous n'y trouvons aucune mention de l'intervention si utile de M. ESTANCELIN.

A quoi attribuez-vous  ce silence trop absolu pour n'être pas calculé?

Mon Dieu ! les hommes, dit-on, ont toujours autour d'eux le bon et le mauvais génie. Ils écoutent plus souvent les conseils du second que les avis du premier.

Il en est de même des Rois et des Princes; ils ont des amis et des conseillers de diverses sortes, tous sont aussi dévoués, j'en ai la conviction, mais leurs avis sont absolument différents:

Le flatteur qui nous perd est mieux venu souvent

Que l'ami qui nous sauve en nous désapprouvant.

Les uns disent: Vous avez des droits, et le devoir c'est de ménager l'avenir et de songer d'abord à votre sécurité. D'autres disent: Vous avez des droits, mais vous avez des devoirs qu'il faut accomplir, sans cela les droits seront bien compromis!

Vous citez, dans votre précédent article, ce cri de Madame la Duchesse d'Orléans, disant:" Allons à la citadelle de Lille!" Elle en fut empêchée, elle, par des amis bien fidèles assurément, mais bien mal inspirés!

Si - au lieu d'avoir l'honneur d'accompagner, à cette époque, Madame la duchesse de Montpensier - j'avais été près de Madame la duchesse d'Orléans, est-ce que vous croyez que, loin de la dissuader, je n'aurais pas applaudi à une résolution qui, en sauvant la dynastie, eût sauvé la France et nous eût évité, et Sedan, et la Commune, et la République actuelle?

Les Princes ont une situation exceptionnelle. Leurs droits, les honneurs qui les entourent, les mettent hors du droit commun. Le réclamer pour eux, c'est une généreuse erreur: on ne peut pas accepter les droits et se soustraire aux devoirs. Ce serait trop commode, en vérité.

Aussi, en plaidant leur cause, en glissant sur la question de droit, j'avais surtout cherché à réveiller, dans le coeur de mes collègues et du Pays, les souvenirs personnels si vivaces pour cette famille royale si aimée... et le succés a été aussi complet que possible, car j'ai vu des larmes couler des yeux d'un des ministres de l'Empereur, pendant que je rappelais la vie des Princes qu'il avait servis.

Depuis, la même question a été traitée à la Chambre et au Sénat, au point de vue du droit seulement. Eh bien! malgré le grand talent des orateurs qui ont pris la parole, l'émotion du Pays n'a pas répondu à tout ce que l'on pouvait espérer de leur éloquence.

La France écoute plutôt la voix du coeur que celle de la froide raison, même quand elle a raison.

M. de Flers a sans doute voulu qu'on ne pût pas comparer les deux manières de servir la même cause, et je suppose que c'est là le motif de cet oubli un peu singulier pour un historien qui avait le MONITEUR sous les yeux.

Cette séance où, après un silence absolu de dix-huit ans sur les Princes d'Orléans, on entendit retentir à la tribune, en face du Gouvernement impérial, tous ces grands noms d'Orléans, Nemours, Joinville, Aumale, fut la plus importante du régime impérial, car c'était une séance dynastique; aussi, je comptrends les remerciements adressés si légitimement par le comte de Paris à M. de Kératry, et que M. de Flers a publiés.

Mais vous aussi - ai-je dit alors - avez dù recevoir des lettres des Princes à cette époque? Est-ce une indiscrétion que de vous prier de vouloir bien me les communiquer?

Je ne vois aucun inconvénient à vous les montrer.

Et M. ESTANCELIN ouvrit un grand carton fermé à clef, où se trouvaient renfermées des masses de lettres et les cartes qui lui furent adressées de tous les points de la France, à cette époque.

Tenez, voici des lettres du comte de Paris, du duc de Chartres, du prince de Joinville, du duc d'Aumale, du duc de Montpensier, etc... etc...

Et il voulut bien me les lire.

Mais elles sont admirables, ces lettres! C'est le coeur des Princes qui a parlé dans un langage qui rapelle les traits de l'esprit du Béarnais ! Ce sont des documents historiques qui ne doivent pas rester enfouis dans vos cartons, car ils sont aussi honorables pour leurs auteurs que pour celui à qui ils ont été adressés.

Permettez-moi d'en prendre copie. Quand on aura lu ces expressions si éloquentes d'une royale reconnaissance, on sera bien mal venu à parler de l'ingratitude des Princes.

Et si M. de Flers publie une nouvelle édition de son livre, il pourra la compléter avec des documents nouveaux.

LETTRE DU COMTE DE PARIS

LE 4 JUILLET 1870

YORK-HOUSE, TWICKENHAM

MIDDLESSEX.

Mon cher Monsieur ESTANCELIN,

Je vous écrit sous le coup de la plus profonde émotion.

Plusieurs personnes arrivées hier m'avaient raconté la grande impression que vous avez produite sur tous vos auditeurs, à la séance d'avant-hier.

On m'avait dit avec quelle éloquence sincère et communicative vous aviez parlé de ces Français absents, dont vous êtes venu si souvent serrer la main sur la terre d'exil. Mais elle n'avait pu m'apporter que l'image affaiblie du souffle généreux, et, j'ose le dire, vraiment patriotique, qui inspire votre magnifique discours.

Les compliments ne vous manqueront pas, vous les avez bien mérités, et je vois déjà avec joie l'hommage que vous rendent les journeaux de nuances les plus diverses et qui ne font que succéder à ceux que vous avez déjà recueullis dans la Chambre.

Mais je suis sûr que votre meilleure récompense sera dans le sentiment que vous avez fait une bonne et belle action.

Je ne puis insister sur ce que vous dites de moi, mais je vous remercie maintenant d'avoir cité le passage de ma lettre qui définissait le terrain sur lequel nous nous plaçons. En pareil cas, l'orateur qui, d'un coup d'oeil, juge la disposition des esprits, peut seul apprécier l'opportunité de pareilles citations.

Ma crainte, en vous écrivant à ce sujet, était qu'une lettre, ainsi apportée à la tribune, n'effaroucherât bien des gens. Vous qui étiez dans le feu de la lutte, vous en avez jugé autrement et vous avez bien jugé.

En pareil cas, on est heureux de trouver un ami comme vous.

Mais je suis plus à l'aise pour vous dire combien j'ai été touché de la manière dont vous avez parlé du "quatrième conspirateur".

L'épisode de la guerre d'Italie est amené d'une manière charmante, et était bien fait pour émouvoir tous ceux qui vous entendaient.

J'ajouterai, pour résumer mon sentiment, que si quelque chose pouvait consoler de l'exil, ce serait d'être défendu comme nous venons de l'être par vous. Et si je cherche à dégager une conclusion de tout ce qui s'est dit autour de la question des lois d'exil, depuis dix jours, c'est que cette question a été posée et non résolue d'une manière conforme à la justice et aux principes du droit moderne.

Et nous pouvons nous féliciter en songeant que les récentes discusions dans la presse et la Chambre auront contribué à hater le jour où l'on verra disparaître le dernier reste des moeurs politiques d'un autre temps.

L'arrêt inspiré à la Chambre par une volonté supérieure ne sera accepté par personne comme une condamnation définitive des "privilègiés".

En attendant que je puisse vous remercier de vive voix, je vous serre de loin la main et je vous prie de me croire

Votre bien affectionné,

LOUIS-PHILIPPE. d'ORLEANS.

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(collection: Ducastelle Philippe le 20.08.2009)

Le Prince de JOINVILLE.

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(collection: Ducastelle Philippe)

LETTRE DU PRINCE DE JOINVILLE

TWICKENHAM,

4 JUILLET 1870

Mon cher monsieur ESTANCELIN,

Vous vous êtes battu pour nous.

Ca vous dit tout ce que j'ai dans le coeur en ce moment-ci.

Je savais que notre cause était en bonnes mains dans les vôtres, mais vous y avez mis tout votre coeur et je ne puis vous dire assez avec quelle émotion profonde je viens de lire le compte-rendu de votre discours (Mon MONITEUR ne m'est pas encore arrivé).

Vous savez que nous n'oublierons jamais quel ami vous avez été, alors que personne n"a rien osé risquer pour nous.

Vous avez fait un beau et magnifique discours, mais vous avez fait surtout un acte honnête et courageux, deux vertus dont le pays a soif aujourd'hui.

Cela vous sera compté, soyez-en sûr.

Déjà je vois dans une lettre d'une dame présente à la séance:

"Je l'aurais embrassé"

Je fais comme elle aurais voulu faire; cela vous sera moins agréable, mais c'est de tout mon coeur.

F. d'ORLEANS.

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(collection: Ducastelle Philippe)

LETTRE DU DUC D'AUMALE

BRUXELLE,

4 JUILLET 1870

Mon noble et courageux ami,

Je viens de vous lire; j'ai les larmes aux yeux. Je vous remercie et je vous félicite.

Vous vouliez remplir un devoir d'honnête homme et de fidèle ami: Dieu vous a inspiré et récompensé.

Vous avez eu un grand succès, un très grand succès, non seulement de coeur, mais de talent.

Vos belles paroles sont des semences qui porteront leurs fruits un jour.

Je vous écris bien en hâte, entre deux trains. Je serai à Wiesbaden, hôtel des Quatre-Saisons, jusqu'au 19 ou 20 juillet.

Je vous embrasse du fond du coeur.

H. d'ORLEANS.

LETTRE DU DUC DE CHARTRES

MORGAN-HOUSE,

4 JUILLET 1870.

Mon cher Monsieur ESTANCELIN,

En ma qualité de cadet, j'ai cru devoir, jusqu'ici, m'abstenir de vous écrire; mais après la lecture du magnifique discours que vous avez prononcé avant-hier, il est impossible de vous taire ce que j'éprouve.

Comme ami, je veux vous dire tout le plaisir que m'a causé votre grand succès oratoire;

Comme exilé, je veux vous féliciter d'avoir trouvé des accents si nobles et si touchants pour soutenir la cause de la justice et du droit, la cause des proscrits et des malheureux.

Comme Orléans enfin, j'ai à coeur de vous remercier de tout ce que vous avez dit de bon sur nous et particulièrement de m'avoir présenté devant le pays sous l'aspect que je tiens le plus à conserver: en soldat désireux de servir à coté des armées de sa patrie, chérissant sa qualité de Parisien plus que toute autre chose.

Le résultat du vote a été, a bien peu de chose près, ce que l'on nous avais prédit; mais l'effet produit par la campagne des journeaux, et surtout par cette séance de la Chambre que le Journal Officiel va répendre à profusion, dépasse de beaucoup ma prévision.

Ce résultat me confirme dans ma conviction que ces lois de proscriptions sont contraires aux moeurs, aux habitudes et aux goûts de la société moderne, quelles sont en opposition ouverte avec les principes de liberté conservatrice qui font, tous les jours, plus de progrés en France; enfin que, condamnées déjà par l'opinion publique, elles seront aussi, un jour, condamnées dans la pratique.

Je vous prie, mon cher Monsieur ESTANCELIN, de croire aux sentiments bien sincères de votre.

Trés affectionné,

ROBERT d'ORLEANS.

Enfin la lettre de mon pauvre ami le duc de Montpensier m'arriva de Madrid pour m'apporter, à son tour, l'expression du plaisir qu'il avait éprouvé en lisant le compte-rendu d'une séance qui avait si profondément ému la représentation politique de la France.

LETTRE DU

DUC DE MONTPENSIER

Je suis tellement ému, mon cher Louis, que je ne sais que dire, et que ne pas dire!

Votre discours est admirable.

J'espère qu'on l'imprimera à part et qu'on l'enverra en France, en Europe, dans le monde entier.

Je suis fier de ma vieille amitié pour vous et je vous en aimerais davantage, si c'était possible.

Il a produit un très grand effet ici, malgré les graves préoccupations de la politique intérieure.

Merci encore une fois! vous savez quelle est ma vieille amitié pour vous.

Tout à vous,

A. d'ORLEANS.

Nous continuons de feuilleter les lettres émanées d'une foule de personnages connus ou inconnus, dont quelques-unes sont fort curieuses; ent'autres une d'Olidon Barrot, qui est une vraie consultation résumée avec beaucoup de logique, - et une d'un Préfet de l'Empire, alors en exercice - il est mort -; lorsque, tout à coup, au milieu des cartes de visites qui furent adressées à M. ESTANCELIN, à la même époque, j'en vois une sur laquelle je lis:

MARQUIS DE FLERS

352 Rue Saint-Honoré.

"J'ai été bien heureux de vous entendre hier; je tenais à vous faire mes sincères compliments pour votre beau et excellent discours"

Est-ce que ce serait l'auteur du livre ?

" Mais je le crois bien,"  - répond M. ESTANCELIN.

Il faut convenir que c'est assez piquant et que, pour un historien, il n'a beaucoup de mémoire.

Que voulez-vous ? - reprit M. ESTANCELIN. - Vous savez que le parti conservateur a la mémoire courte, c'en est une preuve nouvelle.

Et j'ajouterai moi, c'est comme cela qu'on est battu: en négligeant les hommes qui peuvent rendre des services... et on ne la pas volé.

d'HOCQUELUS.

Averti de son oubli, M. de FLERS, dans une nouvelle édition, a bien voulu faire mention du discours qu'il avait entendu.

Ces lettres, curieuses et touchantes dans l'expression variée du même sentiment, dormaient depuis vingt ans dans mes cartons; elles n'en seraient jamais sorties sans l'oubli de M. de FLERS.

Avec moi, on ne perd rien. Quand on a de la mémoire, j'en manque; quand on en manque, j'en ai pour deux.

M. ESTANCELIN.

Ceux été grand dommage que la France ne connût pas des lettres si honorables pour les Princes, et j'ajoute si précieuses pour vous et votre famille. Vous me permettrez d'en prendre copie, comme je vous demande aussi votre discours du 2 juillet. Je le reproduirai.

FERNAND DE MONTREAL.

A MONSIEUR ESTANCELIN

AU CHATEAU DE BAROMESNIL

PAR EU (Seine-Inférieure)

Monsieur,

Ma carte vous aura déjà appris la réception par moi du journal le NOUVEL ECLAIREUR, et apporté tous mes remerciements de votre bonne grâce pour moi.

Je tiens aujourd'hui à vous transmettre toute ma gratitude de la lettre dont vous avez bien voulu faire suivre votre envoi.

J'ai retrouvé, dans cette lettre, comme j'avais reconnu hier dans le texte de votre discours, l'écho, le témoignage des sentiments que j'avais vivement appréciés en vous, alors qu'une même pensée, qu'un même voeu de restauration monarchique et de relèvement pour la France nous avait conduits l'un vers l'autre et unis.

Le souvenir de ce passé est resté, je vous assure, tout entier dans mon esprit et dans mon coeur: Je serais toujours heureux de ce qui nous rappellera l'un à l'autre.

Agréez, je vous prie, Monsieur, la nouvelle expression de mes sentiments de sincère dévouement pour vous.

DREUX-BREZE.

MONSEIGNEUR

Je profite d'une occasion sûre pour vous faire parvenir une lettre politique un peu longue.. Je vous vois d'ici... une longue lettre politique d'ESTANCELIN !

Le temps est froid, le feu brûle peut-être dans la cheminée, et ma lettre a de certaines chances de s'envoler en fumée; mais, comme je crois utile qu'elle soit lue et méditée, je vous préviens que j'en envoie copie à votre oncle, le duc d'Aumale, et à votre frère, le duc de Chartres, et qu'elle a été communiquée à un certain nombre d'hommes politiques qui en approuvent et l'esprit est les termes.

Je ne vous demande pas de réponse, car : ou elle aura le bonheur de vous plaire, et le témoignage de votre satisfaction ne fera qu'augmenter le nombre de ceux que je possède déjà; ou elle a le malheur de vous déplaire, et vous m'obligerez à me rappeler que le plus fidèle serviteur d'un des plus grands rois de votre race savait braver la colère de son maître, quand il s'agissait de défendre son honneur ou ses intérêts, si complètement unis à ceux de la France.

Je n'ai ni sa situation, ni sa valeur, mais les sentiments qui me guident sont les mêmes.

Je vous prie d'en agréer le plus respectueux hommage, ainsi que l'expression de mon affectueux dévouement

ESTANCELIN.

MONSEIGNEUR

Les Français réunis ici étaient presque tous venus, il y a vingt-cinq ans, assister au mariage dont nous fêtions, hier, l'heureux anniversaire.

Votre père, en écoutant la voix de son coeur, a uni sa destinée à la Princesse, sa cousine, qui, depuis lors, a partagé, avec autant de dévouement que d'affection, sa bonne et sa mauvaise fortune.

Dieu a béni cette union.

En voyant cette belle lignée de Princes qui les entourent, et dont vous êtes l'aîné, nous nous rappelions que l'Angleterre est justement fière de son prince de Galles, que nous avons salué il y a quelques heures, non-seulement pour les qualités remarquables de son esprit et de son coeur, mais aussi par cette santé de fer qui a fait l'admiration de l'Europe et de l'Asie.

Vous aussi marchez sur ses traces. Nous vous avons suivi, avec la plus affectueuse sollicitude, alors que vous braviez impunément, et le climat perfide de l'Inde et la dent meurtrière des grands fauves de ses jungles.

Nous espérons que Dieu répandra sur vous, comme il la fait ôur votre auguste Père, toutes ses bénédictions dans la vie de famille nouvelle qui va commencer pour vous.

Nous avons appris avec bonheur que vous alliez unir votre destinée à celle d'une jeune Princesse française, si digne d'être aimée, et par sa beauté et par les qualités qui brilleront d'un éclat plus vif encore au rang le plus élevé.

Vous auriez pu choisir parmi les Pricesses qui, autour des divers Trônes de l'Europe, montrent aussi aux peuples les qualités qu'ils aiment à rencontrer chez leur souverain.

Mais vous avez pensé à la France.

Vous avez compris qu'il est une certaine situation où,  dans la vie des nations, le recueillement s'impose, et que c'était au milieu de cette race vaillante qui, depuis, dix siècles, a fait la France, en versant son sang sur tous les champs de bataille, qu'elle aimerait à voir choisir Celle qui serait appelée à partager votre destinée.

Quand la future duchesse d'Orléans traversa les flots du Peuple français, on n'entendra pas murmurer ces mots: " Voilà l'étrangère!" Mais tous les fronts se découvriront pour saluer la fille de ce brave soldat qui, jetant dans l'ombre son nom royal, pour prendre un fusil, a donné l'exemple du dévouement patriotique le plus éclatant et le plus modeste à la fois.

Si le duc d'Orleans, votre grand-père, enlevé si tôt à l'amour du peuple, regretté du Pays tout entier, pouvait sortir vivant de son tombeau, avec quel bonheur il bénirait l'union qui se prépare et entendrait ces mots qui traduisent notre sentiment à tous.

Ce sera un jour de fête patriotique que celui où la France, puisant dans son vieux sang royal les éléments d'une nouvelle génération de Français, s'associera à vos joies de famille; car ce jour-là, avec de justes espérances, la France, une fois de plus épousera la France!

2 JUIN 1889.

ESTANCELIN.

NATIONAL

SEPTEMBRE 1878.

Arrivant à parler des évènements de l'année dernière et du 16 Mai, M. ESTANCELIN apprécie ainsi cette période politique:

Quand on avait débuté par la lettre à M. Jules Simon et la proro gation des Chambres, la conséquence logique et immédiate devait être la proclamation de l'état de siège, non pas un état de siège platonique, mais l'établissement d'un régime légal et vigoureusement autoritaire.

La prochaine des 363 paru; le Ministère, mis en accusation moralement devant le pays, est resté inerte. Le comité des jurisconsultes s'est installé, a fonctionné; on l'a laissé faire. Il est vrai qu'on placardait dans les communes un discours en 500 ou 600 lignes, que personne ne lisait, et le BULLETIN DES COMMUNES, qui avait le même sort, mais dans lequel cependant des chercheurs ont fini par trouver des insolences parfaitement inutiles à l'adresse des 363.

On combat des adversaires, on les frappe si c'est nécessaire; on ne s'amuse pas à les taquiner, à les irriter, sans les affaiblir. C'est un échec pour le Ministère qui, avec une adorable confiance, se croyait sûr de 100 ou 120 voix de majorité.

L'opposition avait perdu une partie de ses sièges; de formidables minorités menaçaient ses élus. Il fallait agir comme si l'on avait gagné une demi-victoire, et se préparer résolument à la compléter par une seconde victoire en jouant une partie nouvelle.

Il fallait renforcer le personnel dans un sens énergiquement conservateur, non en paroles, mais en action, et d'abord montrer cette assurance, qui est la première condiction d'existence d'un Gouvernement.

Au lieu de cela, qu'avons-nous vu? Sil y avait encore un Ministère, il n'y avait plus de Ministres. Les plus avisés faisaient leurs malles; les autres, comme des victimes résignées, attendaient l'heure du sacrifice et préparaient leur oraison funèbre parlementaire. Le maréchal était légèrement éperdu. On disait de tous côtés qu'il ne savait que faire, et les seules confidences qui sortaient de l'Elysée étaient des aveux d'hésitation, de faiblesse, à décourager les plus résolus.

Le parti conservateur, sans direction après la lutte, absolument abandonné, ne comprenait rien à la situation.

Il s'était battu en prenant le nom du maréchal comme drapeau; il croyait à ce courage qui devait grandir avec le péril, il en attendait une éclatante manifestation.

Indulgent pour les républicains, à qui je n'ai rien à reprocher, je maudis les misérables lâcheurs qui, appartenant au parti conservateur, sont seuls les criminels auteurs d'une situation dont les conséquences commencent à frapper les plus opinîatrement aveugles.

C'est leur défection qui a été la cause de notre défaite, et elle ne sera réparée qu'après des épreuves dont personne ne peut prévoir la durée.

Ayant une occasion de dire à mes concitoyens la vérité sur leur compte, je l'ai saisie, et le retentissement de quelques paroles prononcées dans un modeste comice agricole m'a prouvé que j'avais frappé juste: les échos du parti conservateur tout entier m'ont dit que la malédiction qui était sortie de mes lèvres était dans le coeur de tous.

ESTANCELIN.

(source: Les DERNIERES HEURES d'une MONARCHIE. Fernand de MONTREAL - Paris VICTORION, Librairie-Editeur 4, Rue Dupuytren - 1893)

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LE GENERAL ESTANCELIN

A PORT-CROS

1872-1873

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Maître ROULLIER, notaire à Hyères qui s'occupait activement des intérêts de Madame Uranie de Rougemont de Morel, propriétaire de Port-Cros, au service de laquelle il était.

AÏE ! se dit le garde en tournant et retournant l'enveloppe,voici encore quelque ennui en prespective ! Des remontrances à faire à Jean, à Pierre, à Paul comme cela arrivait huit fois sur dix, ou quelque affaire délicate à régler avec les fermiers.

Eh bien non, Maître ROULLIER lui annonçait tout simplement que la chasse de l'île était louée pour douze ans à une personnalité très importante qu'on lui nommerait bientôt mais, qu'en attendant, il devait taire la chose et n'en parler à qui que ce fût.

"Mon bon Teisseire j'ai loué la chasse et confié l'administration de l'île à un ami"

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Ile de Port-Cros le Manoir d'Hélène.

(collection: Ducastelle Philippe)

Vous l'apprécierez j'en suis sûre. Parfait homme du monde très actif, plein d'idées, ancien député de l'Eure il a encore une grosse influence dans les milieux politiques. C'est un héros de cette triste guerre où il a obtenu la légion d'Honneur pour ses exploits de franc-tireur.Quand je vous aurai dit que si notre château de Guitrencourt a été épargné lorsque les Prussiens entrèrent à Mantes, c'est parce que, venu de Rouen avec ses hommes, le Général protégea notre domaine avec une parfaite habilité militaire.

 

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LE DUC DE CHARTRES, LE GENERAL ESTANCELIN, LE Lt-Col. HERMEL.

Récit la Comtesse Uranie de Rougemont de Morel.

Cependant le mistral commençait à hurler dans la cheminée et à agiter les portes; Thérèse fit apporter des coussinets pour éviter les vents coulis qui glaçaient les pieds de ces dames.

Charles mit de grosses bûches dans la cheminée.Thérèse, présidant la table, avait le comte à sa droite et Uranie à sa gauche... Ils parlaient politique sans passion mais avec beaucoup de bon sens. Les jeunes évoquaient chevaux et voyages. Le comte qui avait pour voisine de droite claire, en l'entendant parler de l'escapade mirifique que fit Berlioz à Nice, dit "A propos d'escapade, ma chère enfant, votre Berlioz "creveur d'oreilles" n'en fera jamais autant que notre "toujours jeune" LOUIS ESTANCELIN! "

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Un chateau de féerie, le Manoir de Jean d'Agrève et d'Hélène.

(collection: Ducastelle Philippe)

Roseline, curieuse de savoir des détails sur la vie de son oncle, demanda au comte de narrer une de ses aventures. Uranie comprit le danger et meilleure conteuse que son mari se proposa pour raconter la plus belle affaire du général.

"Mais, dit-elle, faussement timide, peut-être certains d'entre vous la connaissent ?" - "De quoi s'agit-il ? " demanda Thérèse inquiète". " De la façon dont il a sauvé en quarante huit, la duchesse de Montpensier".

"Nous sommes au courant du fait répondirent Charles et Thérèse, mais nous ignorons les détails".

" Eh ! bien, répondit Uranie, je vais vous conter cela tel qu'il nous l'a livré lui-même, dans l'intimité de Guitrancourt, après une chasse superbe où, le bon vin d'Anjou aidant, il fut ce soir-là exceptionnellement gai et prolixe.

C'est une aventure "d'Artagnanesque" ajouta-t-elle, où ne manquent, depuis le départ de Paris, ni les incidents de parcours, ni la beauté d'une personne de haut rang, ni même le nom de Béthune qui est celui de la rivière qui arrose Neufchâtel.

Les enseignes des hôtelleries elles-mêmes replongent dans cette ambiance à panache qui a fait lire Dumas par toute la France...

Naturellement ça n'est pas une histoire à raconter à tous, l'imagination est fertile, le monde méchant; quels bruits ne laisserait-on pas courir en brodant sur un canevas assez riche par lui-même...

Je compte donc mes amis sur votre discrétion, car Louis est très pointilleux sur cette affaire et ne me pardonnerait pas de vous l'avoir dite; elle est pourtant l'incarnation de son esprit chevaleresque si bien illustré par sa devise "si omnes ego non".

" Pourquoi est-il si attaché à la famille d'Orléans ? Avait-il une lointaine parenté avec elle ? Interrogea Foulques".

" Le général est l'héritier d'une famille qui a servi depuis Henri IV le comté pairie. Lorsqu'Eu passa aux Orléans, les Estancelin, s'identifièrent aux intérêts de leurs maîtres jusqu'à nos jours avec une loyauté qui tient de la dévotion".

"Mais, Uranie, commence donc ton récit, intervint le comte impatient en remettant sa montre au gousset, si tu ne veux pas que nous y soyions encore l'année prochaine !" Tout le monde rit et la comtesse se jeta à l'eau.

" Vous savez tous, sans doute, que le général fut élevé au collège de Bourbon avec les princes, il se lia d'affection avec Chartres mais plus particulièrement avec Antoine-Marie, futur duc de Montpensier avec lequel il était en rapport d'âge.

Ils avaient les mêmes goûts, ils montaient les mêmes farces. Devenus hommes, ils étaient comme des frères, l'un apprenait son métier de prince, l'autre se destinait à la diplomatie, je crois même que Louis a été attaché d'ambassade à Munich, ce qui ne l'empêcha pas de devenir à vingt ans chef de bataillon de la garde nationale de la Seine-Inférieure.

En février 48 il fallut songer à la protection des personnes et des biens de la famille royale. Montpensier marié depuis deux ans à Marie-Louise de Boubon infante d'Espagne voulut mettre sa jeune et belle épouse à l'abri des horreurs possibles et naturellement il songea à son ami Louis-Charles-Alexandre Estancelin dont il connaissait la ferveur et le courage.

Déjà toutes les barrières de Paris étaient fermées, les frontières du nord, de l'est et du sud surveillées, la famille royale étant apparentée avec les souverains des nations limitrophes. Restait l'Angleterre, " l'ennemie héréditaire", avec laquelle on était toujours en froid et plus particulièrement depuis cinq ans, par deux fois, Victoria reçue secrètement à Eu par le roi, s'était farouchement opposée à l'acceptation pae Nemours du trône de Belgique que le Congrés venait de lui offrir. On fit un compromis: Louise d'Orléans se maria avec Léopold. Il fut donc décidé de choisir l'Angleterre comme refuge.

Votre parrain, Roseline, était le plus capable de réussir cette mission. Le Duc proposa à sa femme de passer pour quelques heures comme épouse d'Estancelin qui puissait dans cette confiance une audace et un courage multipliés.

Il résolut de partir sur le champ par la barrière de Clichy. Les sentinelles l'arrêtèrent mais comme il portait l'uniforme d'officier de la garde nationale le sergent allait le laisser passer lorsque le colonel sortit. C'était un ami, il connaissait bien le jeune ménage qu'il fréquentait. Le sergent se mit au garde à vous et expliqua à son supérieur:" Madame et le chef de bataillon Estancelin qui rejoint son poste en Seine-Inférieure".

Le futur général descendit prêt à faire front, mais le colonel cligna de l'oeil et lui dit: "Alors, quel est le nom de votre nouvelle épouse ?" Louis répondit d'instinct et à haute voix  pour la princesse l'entendit "Jeanne Leclerc". Aller mon cher, et bon vent, mes hommages à votre charmante Marie-Amélie".

Estancelin aurait volontiers cloué sur place cet imbécile qui portait atteinte à son respect pour la famille royale. Pour passer il fallait se taire, aller vite en direction de Franconville et Pontoise où l'agitation n'était sans doute encore pas parvenue, atteindre Gournay puis Forges-les-Eaux, Neufchâtel et enfin Eu où l'on aviserait. Les gardes nationaux présentèrent les armes, le cabriolet que le duc avait eu de la peine à se procurer si vite fila vers Franconville.

La duchesse que l'aventure amusait fort demanda pourquoi elle s'appelait subitement Jeanne Leclerc. Heureuse d'avoir franchi ce premier obstacle Estancelin pouffa de rire et expliqua que mis au pied du mur par le colonel qui connaissait Marie-Amélie, il avait dit le premier nom qui lui passait par l'esprit. Connaissant bien l'histoire de sa province, il lui était venu en bouche celui de l'héroîne qui, dans Aumale assiégée par le duc de Parme, avait baissé puis relevé toute seule le pont-levis pour permettre au roi Henri IV sur le point d'être capturé, le salut.

"Je suis très honorée de cela et décidément le bon Henri projette toujours sur ses descendants son ombre tutélaire approuva la duchesse". Puis elle lui confia qu'elle portait sur elle une partie de la fortune des Orléans: quelques bijoux et surtout les titres de propriété de la collection personnelle que Louis-Philippe avait fait acheter en Espagne sur les conseils de Mérimée.

Quatre cent toiles furent achetées sur les fonds personnels de la maison d'Orléans par l'intermédiaire de Dauzat et du baron Taylor. Il fallait coûte que coûte, quel que fut le risque, sauver tout cela. Chaque tour de roue qui les éloignait de la capitale éloignait aussi le danger. La duchesse était vêtue simplement en voyageuse mais on était au fort de l'hiver et comme il ne faisait pas chaud, Louis recouvrit la jeune femme des plaids qu'il avait pris la précaution d'emporter. Elle était jeune, elle était belle, ils avaient les mêmes goûts et les mêmes espoirs, ils étaient embarqués dans la même dangereuse affaire et leur coeur exalté par cette aventure était tout chaud. Louis nous avoua que ce moment-là restait gravé comme le plus pathétique qu'il ait vécu, mais que sa déférence était si grande qu'il ne lui était venu aucune pensée indigne d'un gentilhomme.

A l'approche de Pontoise, redoutant que ce gros bourg trop près de Paris soit en effervescence il ôta son manteau pour faire remarquer son uniforme. Ils observèrent quelques groupes dans le faubourg Saint-Ouen mais le centre de la ville était calme. Louis s'arrêta à l'hôtel du "Grand Cerf" où il était connu comme dans tous les hôtels de cette route à cause de ses fréquents voyages de Paris à Baromesnil.

Ils burent un thé au lait chaud pendant qu'on attelait un cheval frais et ils repartirent lestement pour Gisors. Aucune curiosité ne s'étant manifestée dans le personnel de l'hôtel, ils se sentirent tous deux plus légers. Cependant il fallait coucher à Gisors, il n'y avait pas d'autre alternative, le temps tournait au froid et la princesse habituée à des voyages plus confortables accusait la fatigue du trajet. Là était le problème ? Estancelin connaissait bien les propriétaires du "Bras d'Or" où il avait l'habitude de descendre parfois avec ses bonnes fortunes, il demanderait donc une chambre à part car il ne pouvait présenter la duchesse comme son épouse ou sa maîtresse.

Louis demanda donc à Marie-Louise le nom sous lequel elle voulait désormais voyager; amusée, elle répondit: "Mais Jeanne Leclerc, cela va de soi". "Hélas ! répondit votre oncle, ma chère Roseline, cela ne se peut, Gisors n'est pas si loin d'Aumale et les hôteliers qui savent un peu tout, pourraient être intrigués par ce nom pourtant si commun en Normandie". "Il attirera donc peu l'attention puisqu'il est si commun, répliqua la duchesse souriante, mais changeons de prénom et appelons-nous Marie-Louise Leclerc".

" Me permettez-vous madame, d'y ajouter le nom d'Yauville, une mienne parente, ainsi Marie-Louise Leclerc d'Yauville, sera parfait et n'attirera aucun soupçon".

La nuit était tombée depuis longtemps lorsqu'ils distinguèrent enfin la masse du château de Gisors, se détachant en noir, sur les nuages ourlés de festons blafards par la lune et qui, rapides, couraient vers l'ouest; on passa le pont de l'Epte avec soulagement car la duchesse était rendue.

A l'hôtellerie du "Bras d'Or" on lui offrit un bon dîner, Louis eut son vin favori, sa nouvelle cousine une belle chambre et un lit bien bassiné. Estancelin donna l'ordre de les réveiller à l'aube, de vérifier la voiture, de graisser les essieux, de prévoir un cheval frais car "sa parente sortant de maladie", il désirait arriver à Baromesnil au plus vite.

Le lendemain vers une heure et demie ils furent acceuillis à bras ouverts à Neufchâtel où les hôtes annoncèrent à la duchesse qu'on connaissait bien la famille Yauville et qu'on était honoré de la venue des deux cousins. Louis obtint sans discussion un cheval frais, un alezan anglo-normand superbe qu'aucun autre que luin'aurait pu avoir; il paya grassement l'hôte et après s'être prestement restaurés ils repartirent à bride abattue à travers un paysage verdoyant d'où émergeait le château de Mesmière. Délaissant la route d'Oisemont, ils prirent par Londinière, un chemin de campagne qui raccourcissait leur trajet de quelques kilomètres, tout en leur évitant les mauvaises rencontres possibles car dans cette région on avait tiré sur le roi l'année précédente.

Le cheval en voulait et le cabriolet filait comme pour une course. Malheureusement, un peu avant le bourg, le cerceau de la roue droite se détacha, les vis usées ne le retenaient plus, il fallut s'arrêter, mais votre oncle était pratiquement chez lui, tous le connaissaient. La réparation était longue et il fallait chauffer le fer; on prêta donc une voiture plus ordinaire mais plus solide au couple qui arriva à Baromesnil alors que les cornes de la lune illuminaient déjà le ciel.

Dès qu'Estancelin présenta la duchesse elle fut reçue comme une reine avec toutes les délicatesses qu'offrent les coeurs généreux. Votre parrain ne paraissait pas fatigué par ce voyage éclair. Il partit dès le lendemain, aux aurores, sous la pluie battante, pour Dieppe, afin d'organiser avec un ami orléaniste l'embarquement incognito de la duchesse pour l'Angleterre. Certes le Tréport était beaucoup plus proche mais c'était un port de pêche, il y avait du danger à confier une femme au pêcheur le plus hardi pour rejoindre l'Angleterre, cela aurait éveillé la curiosité.

Il fallut deux bonnes heures au général pour atteindre la ville où il possédait un appartement d'été. Il dut attendre que la haute mer déterminant un jusant favorable, le navire rallia le port. L'accord fut complet et immédiat. Louis ne nous a jamais confié si la duchesse de Montpensier passa par l'Angleterre pour rejoindre l'Espagne où elle vit depuis avec le duc. Mais quelques mois après, le roi d'Espagne faisait à la surprise générale votre oncle "Grand Croix de l'Ordre d'Isabelle la Catholique" pour avoir sauvé l'Infante.

Cette décoration est chère au coeur de notre ami, il la porte fièrement dans les grandes occasions mais personne ne se hasarde à faire devant lui allusion à la façon dont il l'a obtenue. Cet homme d'action qui adore le panache et la musique romantique garde curieusement pour lui les hauts moments de sa vie surtout lorsque de près ou de loin ils touchent à la famille d'Orléans".

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Ile de Port-Cros

Le Hall du Manoir

(collection:Ducastelle Philippe)

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ESTANCELIN Louis-Charles-Alexandre:

Né à EU le 6 juillet 1823, avait à peine terminé son éducation au Collège de BOURBON qu'il était nommé chef de bataillon de la Garde Nationale.

Il entra dans la diplomatie et devint secrétaire d'ambassade. Il était à Paris lorsque éclata la révolution de Février; il recueillit chez lui la Duchesse de MONTPENSIER, qu'il réussit à faire sortir secrètement de France.

Elu membre du Conseil Général de la Seine-Inférieure et envoyé par le même département à l'Assemblée Législative (1849) il se fit remarquer au sein de la majorité par sa vive hostilité contre les institutions républicaines. Après le 2 décembre, il rentra dans la vie privée.

Il en est sorti lors des élections générales de 1869 pour le corps législatif. Porté comme candidat de l'opposition dite Orléaniste, dans la 4e circonscription de la Seine-Inférieure, il fut élu, mais seulement au second tour de srutin par 14.486 voix sur 26.746 votants. Dans la courte session de juillet Monsieur ESTANCELIN s'est placé avec ardeur aux premiers rangs du nouveau tiers parti libéral.

A fait paraître en 1866 "L'ENQUETE et la CRISE AGRICOLE"

 

 

 

 

 

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